Destruction des croix
Je verrai mettre à nu le fond du sanctuaire,
Les plus saints monuments mutilés pierre à pierre
La croix foulée aux pieds et le temple proscrit ;
Je verrai lois et mœurs pourrir à chaque place,
Et je n’oserai, moi, jeter avec audace
Toute mon âme dans un cri !...
Oh ! ce cri sortira, ma poitrine est trop pleine,
Et l’indignation enfle trop chaque veine
Pour que mon cœur brisé se taise plus longtemps,
Oui, l’anathème enfin jaillira de ma bouche :
Je veux marquer d’un sceau cette horde farouche
De triomphateurs insultants.
C’est qu’à travers ces bruits, ces rumeurs effrénées,
Malgré l’impur limon qui souille nos années,
Quand tout s’abâtardit, les peuples et les rois,
Méconnu comme Dieu, le Christ restait notre hôte
Et le cœur le plus fier, la tête la plus haute,
Pliaient en face de la croix.
Et voilà qu’elle tombe, et c’est quelques bras d’hommes
Qui s’en vont l’attaquer jusque sur ses vieux dômes,
Où l’antique ferveur tant de fois éclata :
Elle tombe. La foule haletante s’arrête,
Et, dans les plus hauts cieux, l’ange voile sa tête
Devant un nouveau Golgotha.
La croix, signe de deuil et signe d’espérances,
Où l’on vit apparaître à travers les souffrances
Le Sauveur annoncé, l’élu mystérieux ;
La croix, signe divin, que toute langue nomme,
Où le dernier soupir de Jéhova fait homme
Rapprocha la terre des cieux !
Va donc jusqu’au saint lieu, va donc, ô plèbe vile !
Frappe les croix du temple, arrache-les par mille,
Nos lèvres baiseront ces emblèmes meurtris :
On peut rompre l’airain, anéantir la pierre ;
Mais on ne peut briser l’aile de la prière
Qui s’élève sur des débris.
Édouard TURQUETY.
Recueilli dans Souvenirs poétiques de l’école romantique, 1843.