La pauvre femme

 

 

Que cet hiver est long ! Je sens un air de glace !

Et rien pour me couvrir ! mes bras sont nus, j’ai froid !

Sous ma porte, au travers des tuiles le vent passe,

              La neige tombe sur le toit ;

Mes enfants sont tremblants, leur faible corps tressaille :

Pas une flamme ici ne jette ses rayons.

Ah ! les pauvres petits ! les voilà sur la paille

              Tout blottis sous quelques haillons.

 

Oh ! sur un long sopha, dans un salon qui brille,

Qu’il est heureux, le riche au front calme et riant,

S’asseyant, à côté de sa jeune famille,

              Auprès d’un feu tout pétillant !

Mais voici qu’un rayon ardent vient de paraître !

Dans ce grenier chétif il se glisse éclatant :

Chauffons-nous au soleil qui luit à la fenêtre,

              C’est le foyer de l’indigent !

 

Quoi ! vous pleurez encor ! J’entends, la faim commence.

Des aliments pour eux... Hé ! qu’on prenne aussitôt

Mon corps qui les porta, mon sang, mon existence !

              Mais non, c’est de l’argent qu’il faut !

Ces enfants vont mourir ! car tout nous abandonne,

Car on exige un prix pour notre pain grossier,

Car on nous vend enfin : Dieu nous la donne,

              Mais les hommes la font payer !

 

Peut-être quelque aumône... Oui, sortons ! Cette femme

Au cachemire souple, aux précieux bijoux,

Pourra me secourir... La charité, madame !

              Je prîrai le bon Dieu pour vous !

Vers mes jeunes enfants que votre front se penche ;

Ah ! pitié ! L’humble sou qu’on donne aux mendiants

Ornerait mieux encor votre main douce et blanche

              Que tous vos anneaux de brillants.

 

Un refus, du mépris !... Le pauvre est dans le monde

Comme un insecte vil qu’un passant foule au pied !

Que faire !... La rivière est là, belle et profonde,

              Elle, au moins, elle aura pitié.

Et pourquoi vivrait-on quand la vie est amère ?

La Seine, qui s’étend comme un vaste tombeau,

Recouvre tant de maux, de haillons, de misère,

              Des plis de son large manteau !

 

Allons, point de frayeur ! la mort vient si rapide !...

Mais ces enfants privés de leur dernier soutien,

Et Dieu qui me regarde et hait le suicide...

              Non !... cependant je souffre bien !

La faim ronge mon corps ; oh ! quel affreux martyre !

Mes entrailles déjà se tordent ; c’est l’enfer !

Il semble qu’une main les tourne et les déchire

              Avec d’horribles doigts de fer !

 

Maudits soient tout ce bruit et ces clameurs joyeuses

Ces femmes étalant des plumes, des joyaux,

Et ce long froissement de leurs robes soyeuses

              Qui semble railler mes lambeaux !

Aucun don ne viendra calmer ma faim mortelle !

Le pain qui nourrirait la pauvre mère en pleurs

N’aurait qu’à les priver d’une gaze nouvelle

              Ou d’une guirlande de fleurs !

 

Comme je m’affaiblis !... Des visions étranges...

Ne pleurez pas, enfants ; mourir vous fait donc peur ?

Voyons, consolez-vous ; courage, petits anges,

              Nous allons trouver le Seigneur.

Au lieu d’un grenier triste, avec de noirs étages,

Un grabat, un vieux mur par le vent ébranlé,

Dieu nous garde là-haut sa maison de nuages

              Dont le toit rayonne étoilé.

 

Bientôt on n’entend plus les enfants ni la mère.

Parmi la foule passe un cercueil d’indigent.

Point d’amis : en voit-on suivre un char funéraire

              Sans festons ni franges d’argent ?

Sur le chemin, pensive, une femme s’arrête.

Un passant se détourne et regarde un instant,

Songe aux plaisirs du jour, à sa prochaine fête,

              Et puis s’éloigne indifférent.

 

 

Anaïs SÉGALAS.

 

Recueilli dans Souvenirs poétiques de l’école romantique, 1843.

 

 

 

 

 

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