Sonnet
L’autre nuit, je veillais dans mon lit, sans lumière,
Et la verve en mon sein à flots silencieux
S’amassait, quand soudain, frappant du pied les cieux,
L’éclair, comme un coursier à la pâle crinière,
Passa la foudre en char retentissait derrière ;
Et la terre tremblait sous les divins essieux ;
Et tous les animaux, d’effroi religieux
Saisis, restaient, chacun, tapis dans leur tanière.
Mais, moi, mon âme en feu s’allumait à l’éclair ;
Tout mon sein bouillonnait ; et chaque coup dans l’air
À mon front trop chargé déchirait un nuage.
J’étais dans ce concert un sublime instrument ;
Homme, je me sentais plus grand qu’un élément ;
Et Dieu parlait en moi plus haut que dans l’orage.
Charles-Augustin SAINTE-BEUVE.
Recueilli dans Souvenirs poétiques de l’école romantique, 1843.