Le forgeron
Debout devant mon enclume,
Prêt au travail me voici :
Dès que l’aube au ciel s’allume
Ma forge s’allume aussi.
Frappe, marteau, tors et façonne
Le métal qu’amollit le feu.
Que ta voix de fer, mon marteau, résonne
Pour glorifier le travail et Dieu.
En vain la sueur m’inonde,
Mes bras n’en sont que plus forts.
C’est la sueur qui féconde
Mon courage et mes efforts.
On m’en voit, comme une couronne,
Une perle à chaque cheveu.
Que ta voix de fer, etc.
Le riche, qui de ma blouse
Détourne son œil railleur,
Plus d’une fois me jalouse
Ma gaîté de travailleur.
La gaîté, Dieu toujours la donne
À qui sait vivre heureux de peu.
Que ta voix de fer, etc.
J’aime à forger la charrue,
Qui nourrit le genre humain ;
Mais jamais le fer qui tue
Ne fut battu par ma main.
Sur terre il ne faut que personne
Avant son heure dise adieu.
Que ta voix de fer, etc.
Pince, qui fend les carrières,
Balcon, où l’on prend le frais,
Soc, qui sillonne les terres,
Marteau, qui brise le grès ;
Qu’on laboure, taille ou maçonne,
Mon ouvrage sert en tout lieu.
Que ta voix de fer, etc.
Dans mon ténébreux asile
Je vis plus heureux qu’un roi ;
Lorsqu’à tous on est utile,
On peut être fier de soi.
Cette forge que je tisonne
Du char du travail fait l’essieu.
Que ta voix de fer, etc.
Vive la forge qui brille.
Dans cet enfer de charbon
On dit qu’en été je grille,
Mais l’hiver il y fait bon.
Que toujours mon bras y moissonne
Le pain du jour, c’est mon seul vœu.
Que ta voix de fer, mon marteau, résonne
Pour glorifier le travail et Dieu.
Charles PONCY.
Recueilli dans Souvenirs poétiques de l’école romantique, 1843.