Appel aux femmes poètes

 

 

Le prosaïsme gagne ! à ses empiétements

Opposez vos efforts et vos écrits charmants.

Vous êtes cette troupe et gracieuse et svelte

Qui s’armait du carquois, de l’arc et de la pelte,

Qui, le front couronné du cimier belliqueux,

À côté des héros brillait aussi bien qu’eux,

Et que Penthésilée ou la belle Harpalyce,

Une hache à la main, conduisait dans la lice.

Courage, nobles sœurs, cette lutte vous sied ;

Disputez avec nous le terrain pied à pied.

Aux sots coalisés, à leur ligue maussade,

Des partisans de l’art opposons la croisade ;

Venez, raidissons-nous contre nos ennemis ;

Gardons le feu sacré que Dieu nous a commis,

Quant à moi, dût toujours un public malévole

Traiter notre art divin de passe-temps frivole ;

Dût l’époque en travail et son bourdonnement

Couvrir ma faible voix qui chante vainement ;

Dussé-je, encor vingt ans, créancier de la gloire,

Sans qu’on ouvre, cogner au temple de Mémoire ;

À de nouveaux affronts fallût-il m’aguerrir,

Fallût-il sur la brèche obscurément périr,

Ô sainte Poésie, en ton nom, je le jure,

Jusqu’au dernier soupir je tiendrai la gageure,

Et ne m’en irai pas, infâme déserteur,

De la réalité me faire adorateur.

Comme un joueur qui brave une chance inégale

Et d’un cœur obstiné pousse sa martingale,

Le dessein en est pris, je me bute ; on verra

Qui du sort ou de moi le dernier cédera.

Contre nos vils penchants hautement je proteste !

Qu’aux autels du veau d’or tout passe ; moi, je reste,

Quand je devrais mourir dans l’ombre et dans l’oubli,

Prêtre d’un temple vide et d’un culte aboli !

 

 

Amédée POMMIER.

 

Recueilli dans Souvenirs poétiques de l’école romantique, 1843.

 

 

 

 

 

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