À ma sœur
Ô ma sœur ! j’étais là, le jour où notre mère,
Comme à moi, vous donna la vie et la lumière,
Au prix de sa douleur.
J’étais là, j’entendis un long cri de souffrance,
Un cri de femme... Et puis, au milieu du silence,
Vos premiers cris, ma sœur !
Et puis, l’on m’appela pour vous voir endormie,
Et, vous trouvant si calme au départ pour la vie,
Je me mis à genoux ;
Et dans votre sommeil vous eûtes un sourire ;
Et mon premier baiser, ma sœur, a dû vous dire
Que je veillais sur vous !
Me protégeant d’amour, une mère attentive
Jusque-là m’avait dit, inquiète et craintive :
« Je l’aime... pense à toi ! »
Oh ! qu’il fut doux le jour où vos yeux bleus s’ouvrirent,
Et, se levant sur moi, presque en pleurant, me dirent :
« Je t’aime... pense à moi ! »
Votre père avec nous ne vous a pas bercée...
Votre père vous prit, jeune âme délaissée,
Au ciel qui l’appela...
Comme un ange, après lui, vous veniez sur la terre,
Et lui dormait dessous. – Vous n’aviez plus de père,
Ma sœur... mais j’étais là !
J’étais là par son ordre, et pour tenir sa place :
Debout, je regardais votre avenir en face,
Avec des yeux jaloux ;
J’étais là : vous étiez ma fille et mon partage,
À moi, si jeune encore ! Et tout mon héritage,
Ô ma sœur, c’était vous !
Notre mère... avant vous, qu’elle a pleuré de larmes,
Si vous saviez !... Par vous elle trouva des charmes
À les laisser couler !
Dans les chagrins du cœur vous qui fûtes conçue,
Oh ! n’oubliez jamais que vous êtes venue,
Enfant, pour consoler !
Une sœur, voyez-vous ! c’est un présent céleste,
Quelque chose qui vient avec la vie, et reste
À nous jusqu’à la mort :
C’est une amie enfin que le bon Dieu nous donne,
Comme le soir au jour, la vendange à l’automne,
La prière au remord.
Ah ! c’est que dans ce monde, où seul l’homme voyage,
Il faut marcher longtemps, longtemps contre l’orage
Et le ciel ennemi ;
Dans ce monde, où partout les méchants sont les maîtres,
Il faut, sous son manteau, recueillir bien des traîtres
Pour trouver un ami !
Les femmes y sont bien pour nous aider à vivre ;
Mais ce sont des parfums dont la douceur enivre
Et flétrit sans retour :
C’est, sur notre avenir, un fard qui décolore...
L’amitié d’une sœur est ce qui reste encore
Quand on n’a plus d’amour.
Louis-Charles MAURICE-SAINT-AGUET.
Recueilli dans Souvenirs poétiques de l’école romantique, 1843.