Notes de quelques entretiens

 

 

de

 

 

André TOWIANSKI

 

 

AVEC DEUX ITALIENS : LOUIS F... ET SA SŒUR THÉRÈSE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Après avoir félicité le frère et la sœur F... du sacrifice qu’ils ont fait en venant à Zurich dans le but de s’éclairer sur l’Œuvre de Dieu, Towiański leur dit :

 

La lumière met en compte devant Dieu celui qui la reçoit ; l’homme sera jugé d’après la lumière et les aides de la Grâce qu’il aura reçues, d’après la manière dont il aura accepté et employé ces dons célestes qu’il est appelé à adorer par son esprit, à réaliser et à faire vivre sur la terre dans toutes ses actions ; l’homme aggrave son compte lorsque, sachant ce qu’il doit faire et comment il doit le faire, il ne le fait pas.

Afin que l’homme puisse accomplir la pensée de Dieu pour laquelle il est né en ce monde, la miséricorde divine lui trace la voie la plus facile, et lui prépare les aides de la Grâce qui lui sont nécessaires. Que peut-il donc y avoir de plus salutaire que de connaître cette voie, d’y marcher avec ces aides, et d’accomplir ainsi la pensée la volonté de Dieu ?... Aussitôt que l’homme prend l’action qui lui est destinée, la Grâce l’aide, la force lui est donnée, tandis qu’au contraire il se sent faible dès qu’il entreprend une chose qui ne lui est pas destinée ; c’est un signe qui fait connaître la volonté de Dieu. Mais tous les hommes ne sont pas sous cette loi : il en est auxquels tout réussit, quoiqu’ils ne fassent pas la volonté de Dieu et que même ils s’y opposent ; Dieu permet que le mal leur trace une route toute contraire, les y conduise, leur donne la force et le succès jusqu’à ce qu’ils aient atteint la limite de cette route qu’ils aiment. Dans le monde, on considère comme un malheur les moyens que Dieu emploie pour arrêter l’homme dans sa voie fausse, et l’on regarde, on envie comme un bonheur ce qui est un véritable malheur, la réussite qu’en récompense du péché de l’homme, le mal lui donne dans la voie fausse.

En voyant tant d’hommes auxquels tout réussit dans leurs fausses routes, on est tenté de se dire : « Je puis en faire autant, et cela me réussira aussi. » Mais non, le mal qui fortifie et favorise les uns ne peut en faire autant pour d’autres. Il y a des individus, il y a des nations qui sont sous une loi spéciale, sous un privilège sacré ; Dieu, en les stimulant davantage à accomplir sa volonté, les arrête dans leurs écarts et ne leur permet pas d’y prospérer ; c’est une conséquence de l’âge qu’ils ont atteint dans la vie éternelle de leur esprit, et celle de leurs comptes devant Dieu. Ces nations, comme ces individus, ne peuvent avoir de prospérité qu’en accomplissant la pensée de Dieu qui repose sur elles, et, tant qu’elles s’y refusent, elles souffrent sous les pressions de Dieu, sous des jougs étrangers, elles sont abaissées, sans vie, car elles ne veulent pas vivre sur la voie de Dieu, et Dieu ne permet pas qu’elles vivent dans des voies fausses.

 

La sœur raconte qu’étant très gravement malade et près de mourir, elle avait pris la résolution de connaître l’Œuvre de Dieu, de faire la volonté de Dieu, et elle avait été subitement guérie. Towiański répond qu’il sent que la sœur s’était arrêtée dans son progrès et que sa résolution lui en a de nouveau ouvert la route.

 

Dans son amour infini, Dieu ne permet pas que l’homme perde le temps en s’arrêtant dans son progrès. Ce monde et les mondes, toute l’immensité doit progresser vers le but final que l’Amour suprême lui a assigné. L’homme peut faire son progrès non seulement dans la voie de Dieu et sous la loi de l’amour, mais s’il résiste, il peut le faire aussi en suivant des voies fausses, en portant, sous la loi de la force, des croix qui ne lui sont pas destinées, en subissant des pressions, des souffrances ; mais il ne peut progresser s’il s’arrête sur la voie de Dieu, s’il se fixe sur quelque point, même élevé, de cette voie, en se satisfaisant du progrès qu’il a fait, en croyant avoir tout accompli et n’avoir plus rien à faire. On peut, par exemple, aller de Turin à Paris en passant par Alger, ce qui est bien loin d’être la route directe et ordinaire ; tandis qu’il sera impossible d’arriver à Paris si l’on se fixe sur un point de la route qui y conduit, même directement. Mais si le voyageur qui fait les détours les plus éloignés de la route directe peut néanmoins atteindre tôt ou tard le but de son voyage, il n’en est pas de même du pèlerin chrétien qui, en s’écartant de la voie chrétienne, ne peut atteindre son but qui est le ciel ; il faut que, perdant tout le fruit de ses peines, de ses sacrifices, il retourne au point où il a abandonné la voie droite, qu’il reprenne cette voie et qu’il la suive. Les peines, les souffrances que l’homme endure dans ses voies détournées, ne font que le préparer, sous la loi de la force, à se soumettre à la loi de l’amour, car ce n’est que sous cette loi qu’il peut marcher et progresser dans la voie chrétienne. Oui, il faut que le pèlerin revienne au même point, quand même il serait tout près du but, quand même il le verrait et semblerait le toucher.

Dans ce dernier cas sont tous ceux qui, ne se soumettant pas à la croix de Jésus-Christ, s’occupent des choses saintes, célestes, sans amour et sans sacrifice, qui travaillent à les connaître soit par l’intelligence, soit par l’imagination, par les vols de l’esprit dégagé et non soumis à Jésus-Christ, soit enfin par les efforts de l’esprit qui contemple ces choses saintes et les approfondit laborieusement, mais froidement. Dans le même cas sont aussi ceux qui, en s’efforçant dans la prière par un mouvement non chrétien, pénètrent sacrilégement dans le ciel, et, ce qu’ils y ont vu et entendu, le manifestent au prochain qui, ordinairement, adore cet état comme la plus grande élévation chrétienne. Les uns et les autres doivent descendre de la hauteur à laquelle ils se sont élevés contrairement à la loi de Jésus-Christ, ils doivent rallumer en eux l’amour et le sacrifice, et reprendre leur pèlerinage selon la loi de Jésus-Christ, dans son Église, sur la voie chrétienne qui seule peut les conduire de la terre au ciel.

Mais il est plus difficile de renoncer à ces détours cachés sous de saintes apparences qu’à d’autres qui se montrent ouvertement. Il faut beaucoup d’amour, de sacrifice, d’humilité, pour reconnaître que toute grandeur, toute sagesse acquises sans Jésus-Christ sont fausses et, par conséquent, bien inférieures à ce degré de la voie chrétienne que le monde qualifie ordinairement de nullité et de sottise ; il faut beaucoup d’efforts, de luttes et de souffrances pour s’élever de cette fausse grandeur, de cette fausse sagesse, à cette nullité et à cette sottise, pour rejeter tout ce qui, ayant été acquis contrairement à la loi de Jésus-Christ, est devenu un obstacle au progrès destiné à l’homme. Oui, il faut beaucoup d’amour, de sacrifice, d’humilité, pour reconnaître qu’un soupir d’un homme simple, sot pour Jésus-Christ, que sa contrition à laquelle Jésus-Christ s’unit, sont sur un haut degré de la voie chrétienne, tandis que la doctrine du philosophe qui approfondit les choses célestes, mais en dehors de Jésus-Christ, est sur un bas degré du détour, et par conséquent, que de ce philosophe à ce simple, il y a une très grande distance. Il faut beaucoup d’amour, de sacrifice et d’humilité pour déposer devant Jésus-Christ la couronne conquise dans le détour, dans le royaume faux, et consentir à être pauvre, sot et petit pour Jésus-Christ, afin de devenir, par Jésus-Christ, riche, sage et grand dans son Royaume. Plusieurs de nos frères que l’Œuvre de Dieu a aidés à sortir de la route fausse dont nous parlons peuvent témoigner par quels travaux et quels tourments intérieurs ils ont dû passer avant de parvenir à rejeter tout ce qu’ils avaient amassé, et à devenir pauvres, petits et sots pour Jésus-Christ. Dieu veille à ce que rien de souillé n’entre dans le Royaume des cieux et à ce que, selon l’expression de l’Évangile, personne ne prenne place à la table du Roi sans être revêtu de la robe nuptiale ; et l’on ne se revêt de cette robe que sur la voie chrétienne, lorsque, se soumettant entièrement à Jésus-Christ, on renonce à la terre, à Mammon, à tous les royaumes faux.

En général, il est difficile de revenir dans la voie chrétienne à ceux qui ont atteint le sommet d’une voie fausse, quelle qu’elle soit, et que la terre a glorifiés et récompensés de ce qui est un péché devant Dieu. Il est difficile de passer du sommet du faux au sommet chrétien, car la distance qui sépare ces deux sommets est grande ; avant de pouvoir monter, il faut d’abord descendre, puis traverser la vallée, passer par le zéro, c’est-à-dire, devenir nul, pauvre, petit, sot pour Jésus-Christ ; il faut passer par ce zéro, qui est comme une forteresse établie sur les limites du Royaume de Jésus-Christ, afin que personne n’y entre sans la soumission à Jésus-Christ et à sa loi, sans l’amour, le sacrifice et l’humilité.

C’est parce que l’homme se refuse à descendre des hauteurs fausses et à passer par la vallée que les voies fausses et leurs sommets sont si peuplés, tandis que la voie chrétienne et le sommet chrétien sont si abandonnés, si déserts. C’est par la même raison que les royaumes faux sont si étendus, si puissants, si bien organisés, tandis que le Royaume, l’Église de Jésus-Christ, ne se manifeste le plus souvent sur la terre que par ses formes extérieures, bien rarement animées de l’esprit de Jésus-Christ, de l’amour et du sacrifice, de cette force chrétienne au moyen de laquelle Jésus-Christ a bâti son Église, pour qu’à son exemple, l’homme la bâtisse par cette même force et amène sur la terre le Royaume de Jésus-Christ.

C’est à cause de sa résistance à passer par le zéro que l’homme éprouve tant de pressions et de souffrances, rencontre tant d’obstacles, dont, en grande partie, il ne se rend pas compte et dont il n’apprécie pas les suites. Parmi ces obstacles, l’un des plus grands est la difficulté de vaincre l’empressement qui pousse à agir avec quelque force que ce soit ; la difficulté de s’arrêter dans le cours de ses pensées, de ses paroles et de ses actions, de changer la direction qu’on a prise, pour se soumettre à celle que Jésus-Christ, peut donner à chaque moment, en un mot, la difficulté de se vaincre soi-même. Cette difficulté vient de l’esprit, et elle augmente avec l’âge de l’esprit, en proportion de la grandeur et de la force qu’il a acquises dans sa vie éternelle ; l’homme devient comme ivre, égaré, il n’est plus maître de lui-même, il se sent comme emporté par un vent violent, comme entraîné dans un cercle que meut une force étrangère. C’est une force immense qui, jetant l’homme hors de sa route, le pousse à des actions, même souvent bonnes, mais qui ne lui sont pas destinées. Cette force, alimentée par le feu de l’esprit et du corps de l’homme, l’est aussi par l’action de l’autre monde, par celle du mal lui-même, ou celle d’esprits qui, sans être le mal, tentent néanmoins l’homme et le poussent å agir pour vivre par lui sur la terre. Sous cette impulsion, l’homme, même sans aimer le mal, peut en faire beaucoup, et, par malheur, il arrive souvent qu’il trace ainsi pour lui-même et pour son prochain des directions dont il devra répondre devant Dieu et devant les hommes !

Il est des hommes qui commettent des actions criminelles auxquelles leur esprit est resté complètement étranger ; la justice humaine les punit pour une action dont, au fond, ils sont innocents ; mais c’est Dieu qui les punit pour avoir résisté à sa Volonté, à son Verbe. Les circonstances et les hommes ne sont en ce cas que les instruments de la justice divine.

Plusieurs, dans leur prière, sentent leur néant, passent en esprit par le zéro, se soumettent intérieurement à la direction de Jésus-Christ ; mais ensuite, dans leurs actions, ils ne conservent pas cet esprit de crainte, d’humilité, de soumission ; ils se laissent entraîner par des forces contraires, agissent par ces forces et comptent sur elles, font des efforts intérieurs pour les attirer et les maintenir en eux : alors la Grâce qui s’était unie à leur prière ne s’unit pas à leurs actions, car ils n’y ont pas soutenu le caractère chrétien, ils ont succombé à la tentation, et ont reculé du zéro à leur ancien sommet faux.

L’homme lutte souvent pendant des siècles contre des obstacles incessants ; aussitôt qu’il en a vaincu quelques-uns et qu’il a atteint le but de ses efforts, d’autres buts et de nouveaux obstacles se présentent à lui par la permission de Dieu. C’est une opération sous la force, c’est l’opération que subit ce monde qui n’a pour but de sa vie et de ses efforts que la terre et souvent ce qui est inférieur à la terre. C’est ainsi que l’esprit, fatigué par des efforts et des peines qui se renouvellent sans cesse, s’apaise, se dompte et enfin se soumet, renonce au sommet faux, traverse la vallée et commence à gravir la montagne chrétienne. Alors seulement il surmonte les obstacles par les armes chrétiennes, et chacune de ses victoires porte son fruit, car elle lui est comptée comme une partie de la victoire qui lui est destinée par le Verbe de Dieu ; alors l’empressement, le feu de l’esprit, qui jusque-là n’attirait que des obstacles de l’autre monde, attire les aides de la Grâce ; l’homme entre dans le cercle que fait mouvoir Jésus-Christ, et, dans ce cercle, qui est le Royaume, l’Église de Jésus-Christ, il marche facilement vers le but qui lui est assigné.

L’homme ne peut vivre, il doit mourir lorsque, par la mort de son esprit, il a perdu toute tendance, et chrétienne, et terrestre, qu’il s’est ainsi arrêté dans son progrès. Plusieurs de nos frères, avant de devenir serviteurs de l’Œuvre de Dieu, étaient déjà près de mourir ; mais dès qu’un but supérieur leur fut présenté et qu’ils eurent accepté la tendance chrétienne, Dieu leur rendit la santé et prolongea leur vie. Il n’y a pas longtemps, une femme était mourante ; c’était une femme très pieuse, qui croyait avoir tout fait pour son salut ; mais aussitôt qu’on lui eut montré ce qu’elle avait encore à faire dans cette vie et qu’elle eut tressailli du désir de l’accomplir, la vie lui revint, elle fut sauvée. En voyant ce changement subit, le médecin qui la soignait s’écria que c’était un miracle, et c’était uniquement que le progrès arrêté en elle avait repris son cours. Il est arrivé plus d’une fois qu’après qu’on a présenté à un mourant un but vers lequel il était porté, son esprit vivifié par là a pris le dessus sur son corps affaibli, et la maladie a commencé à disparaître. Je n’oublierai jamais l’exemple touchant d’un Polonais qui était sur le point de mourir ; seul au monde, il n’avait aucun but qui le rattachât à la vie ; mais on lui rappelle deux ruches dont il s’occupait avec un grand amour, et on lui dit qu’après sa mort, ses abeilles mourront aussi : « Non, non, mes chers enfants, s’écrie-t-il tout attendri, vous ne mourrez pas, je ne vous abandonnerai pas ! » L’émotion qu’il éprouve provoque la transpiration, la maladie prend une bonne direction, et il est bientôt guéri. Si une tendance terrestre pure est si puissante, que ne sera donc pas la puissance de la tendance chrétienne ?

Il y a des personnes pieuses qui aspirent à mourir pour être plus tôt auprès de Dieu, sans s’inquiéter de savoir si elles ont accompli en cette vie la volonté de Dieu. Ce désir de la mort est souvent regardé comme une preuve de sainteté, car il indique, en effet, qu’on a renoncé à la terre, à ses biens, et à soi-même, puisqu’il fait qu’on néglige même le soin de sa santé. Il est vrai qu’une telle personne ne veut pas vivre sur la terre par amour de la terre, mais elle ne veut pas non plus y vivre par amour du ciel, par amour de Dieu et du prochain, pour accomplir la volonté, la pensée de Dieu. Notre Seigneur Jésus-Christ a pris sur lui la croix de vivre sur la terre, croix la plus lourde pour celui qui était descendu de la droite du Père ; il l’a prise par amour de la volonté du Père, par amour du salut de l’homme, et personne n’aura part aux promesses de Jésus-Christ sans imiter Jésus-Christ dans son amour et ses sacrifices. Si un soldat, parti pour la guerre par ordre du roi, au lieu d’y faire son devoir, abandonnait les dangers, les peines, les sacrifices auxquels il est exposé, pour revenir auprès du roi et jouir de sa présence, il est certain que, pour un tel amour de la personne du roi et un tel manque d’amour de la volonté royale, il serait sévèrement puni. Si, à ce même homme qui aspire à mourir pour être près de Dieu, on citait la conduite d’un tel soldat, il ne manquerait certainement pas de dire : « C’est un lâche qui ne pense qu’à lui et à sa jouissance, et son prétendu amour pour le roi n’est qu’un prétexte. Que signifie cet amour quand il ne veut pas se sacrifier pour obéir à celui qu’il prétend aimer ?... » Ce même homme ne s’indignerait-il pas des protestations d’attachement d’un domestique qu’il aurait à son service et qui négligerait complètement son devoir ? C’est un grand malheur que des vérités si simples, confirmées même par les lois de la terre, ne soient reconnues et appliquées que dans les choses terrestres, et qu’elles ne le soient pas dans la vie chrétienne. Cela prouve combien le royaume de ce monde est puissant, et combien le Royaume de Jésus-Christ est encore faible sur la terre. C’est à cause de ce manque de réalité, de pratique dans la vie chrétienne, que tant d’hommes se détournent de la religion, abandonnent le Royaume, l’Église de Jésus-Christ, et se jettent sur les routes terrestres, où ils trouvent l’appui pour vivre dans la réalité ; leur péché est grand, mais une grande partie de la responsabilité en retombe sur ceux qui éloignent de la vie chrétienne la réalité, la pratique.

 

Le frère demande ce que c’est que l’amour chrétien, et si sympathie et amour signifient la même chose.

 

L’amour chrétien, c’est le désir de s’unir à Jésus-Christ, et de s’unir en Jésus-Christ avec le prochain ; c’est en même temps la soumission à la croix, au sacrifice qui seul peut réaliser ce désir, car aussitôt que l’homme rejette la croix, le sacrifice, son amour cesse d’être chrétien, ce n’est plus que la faiblesse, la jouissance. La sympathie peut être pure ou impure, selon qu’elle provient d’une union formée dans le passé, en Jésus-Christ, sur la voie chrétienne, ou d’une union formée dans les routes fausses, par un même amour du mal, un même péché. La sympathie vraie, chrétienne, qui résulte de l’union formée en Jésus-Christ, c’est l’amour chrétien réalisé, c’est un trésor céleste qu’accompagne la Grâce de Dieu. Jésus-Christ a dit : « Là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, j’y suis au milieu d’eux. » Si nous qui sommes ici, nous formons une telle union, elle continuera dans notre avenir éternel. Quel grand bienfait dans le mariage qu’une telle union, une telle sympathie ! C’est une des aides les plus grandes que l’homme puisse recevoir pour son progrès chrétien, c’est le mariage par la Grâce de Dieu, sous la loi de l’amour. Mais il y a aussi des mariages par la permission de Dieu, sous la loi de la force, et dans ces mariages, tantôt il y a la sympathie venant de l’union des deux esprits dans le même péché, tantôt l’antipathie, même l’inimitié d’esprit, cachée pendant un certain temps par l’union corporelle, magnétique, par ce qui, dans le monde, est appelé amour. Un tel amour, qui malheureusement, dans ces mariages, est souvent le seul lien, passe bientôt, et la triste réalité se montre. Il en est de même pour les enfants : il y en a dont l’esprit est uni en Jésus-Christ avec leurs parents, ce sont les enfants par la Grâce de Dieu ; d’autres dont l’esprit leur est étranger et même hostile, ce sont les enfants par la permission de Dieu.

 

Le frère dit que l’homme doit chercher une femme qui soit en union chrétienne avec lui.

 

Oui, l’homme doit chercher tout ce qui est son vrai bien ; celui qui ne s’inquiète pas et ne travaille pas dans ce but se rend coupable devant Dieu. Mais le fruit du souci et du travail de l’homme dépend de Dieu ; autant que l’homme le mérite par ses comptes, Dieu bénit son souci et son travail.

Rien n’arrive à l’homme par accident, tout lui vient de Dieu ; par conséquent, non seulement notre salut éternel, mais même notre bonheur temporel dépendent uniquement de notre pureté, de notre bon compte devant Dieu, et cette pureté, ce bon compte dépendent de ce que nous accomplissions la volonté de Dieu. Les circonstances, les forces terrestres, etc., ne sont que des instruments de Dieu ; si vous avez un bon compte devant Dieu, vos ennemis mêmes, en voulant vous nuire, vous feront du bien ; dans le cas contraire, vos amis, en voulant vous servir, vous feront du mal. Tout se résume donc pour nous en Dieu, sa Volonté, son Verbe, et en notre pureté, notre bon compte devant Dieu, suite de l’accomplissement de sa Volonté, de son Verbe. Vous vous enfermez dans votre chambre, vous travaillez devant Dieu, vous vous purifiez de ce qu’il y a d’impur dans votre intérieur, vous prenez de bonnes résolutions, et aussitôt tout s’aplanit pour vous extérieurement, les nombreux obstacles que vous ne pouviez surmonter disparaissent, le monde, le mal même sont alors obligés de vous servir. Notre action intérieure, qui est la cause, dépend de nous ; notre action extérieure, qui est l’effet, est entre les mains de Dieu.

 

Le frère dit : il semble cependant que tout dépende des forces inférieures, visibles, qui nous entourent.

 

Il est vrai qu’en grande partie, ces forces gouvernent le monde à cause de ses péchés ; mais en réalité, elles ne sont que des instruments par lesquels Dieu gouverne le monde, car elles n’agissent que là et autant que Dieu le permet. Il est facile, dans la prière, de voir et de sentir cette vérité si claire, mais il est bien plus difficile de conserver ce sentiment dans le cours de la vie active, où les forces inférieures s’opposent à la réalisation de la prière, afin d’empêcher que le Verbe de Dieu, vivant par l’homme, n’abolisse le pouvoir du mal sur le monde.

 

Le frère demande des éclaircissements sur ce dernier point.

 

Le mal s’oppose à la réalisation de la prière plus qu’à la prière même ; car le Verbe de Dieu ne vivant par la prière que dans l’esprit de l’homme ne vit que dans l’autre monde et reste mort dans celui-ci ; tandis que, par la réalisation de la prière, par les bonnes actions qui constituent la vie chrétienne de l’homme, le Verbe de Dieu commence à vivre sur la terre par l’homme, le Règne du Père céleste arrive, sa volonté se fait sur la terre comme au ciel, et le mal, forcé de se soumettre à la puissance du Verbe vivant, ou cesse d’être le mal, ou s’enfuit devant cette puissance comme devant le ciel. Dans la prière, le sacrifice ne se fait que dans l’esprit de l’homme ; dans la réalisation de la prière, il se fait dans l’esprit, le corps et l’action, il se fait complètement, à l’exemple du sacrifice de Notre Seigneur, et ce n’est que ce sacrifice chrétien complet qui élève sur la voie chrétienne l’esprit, le corps et la vie de l’homme, son être tout entier. C’est par un tel sacrifice que l’homme imite Jésus-Christ, porte sa croix, accomplit le Verbe de Dieu, progresse dans la voie chrétienne, se rapproche de son but suprême.

Il y a dix-neuf siècles que Notre Seigneur a fait connaître à l’homme son Père céleste et la voie qui conduit à lui. Voilà pourquoi l’homme est poussé maintenant, plus que jamais, à reconnaître partout la puissance de Dieu, la puissance de la Volonté, du Verbe de Dieu, qu’il est poussé à produire sur le champ de sa vie, dans toutes ses actions, les fruits de sa foi en cette puissance, par conséquent, de sa soumission entière à Dieu, de sa confiance en l’Amour suprême qui ne cesse de veiller sur ses créatures, qui ne les abandonne jamais entièrement, et ne permet au mal d’agir sur elles que jusqu’à des limites marquées.

Il y a des hommes pieux, des chrétiens fidèles à Dieu, qui, aussitôt que le moment de l’épreuve arrive, se troublent et ne voient plus que les forces inférieures qui les oppriment, comme si la moindre chose pouvait arriver sans la volonté ou la permission de Dieu. Il faut, mes frères, que nous mettions la cognée à la racine, que nous prenions le caractère chrétien, que nous devenions martyrs de la foi vivante. Imitons le modèle suprême du caractère chrétien soutenu, que nous a donné Notre Seigneur dans sa passion et sa mort, quand il s’est soumis à l’oppression des forces de la terre et de l’enfer, oppression la plus grande qui ait jamais existé depuis le commencement du monde.

 

La sœur, qui appartient au tiers-ordre de saint Dominique, énumère le grand nombre des prières prescrites par la règle de cet ordre ; elle dit que c’est pour elle un lourd fardeau, et qu’elle n’y trouve pas le profit chrétien auquel elle aspire.

 

Le principal but du chrétien est d’accomplir le Verbe de Dieu, la loi de Jésus-Christ, en élevant constamment son esprit, son corps et sa vie, et d’atteindre, dans les siècles de son progrès chrétien, le degré d’élévation que le Verbe de Dieu lui a destiné, et dont le Verbe incarné, Notre Seigneur Jésus-Christ, a présenté le modèle à l’homme par ses paroles et ses actions. Le principal devoir du chrétien est donc de tout faire, de tout sacrifier pour s’élever à chaque instant, pour progresser sur la voie chrétienne, pour travailler à son salut ; par conséquent, les pensées, les paroles, les actions de l’homme ne sont chrétiennes, ne sont conformes à la loi de Jésus-Christ, qu’autant qu’elles rapprochent l’homme de son but suprême.

Pour remplir ce devoir, il faut en avoir la force, et cette force ne réside que dans l’amour, dans le sacrifice et dans la Grâce de Dieu qui descend sur ce mouvement intérieur de l’homme. On peut éveiller en soi ce mouvement en arrêtant son esprit, par exemple, sur les paroles sublimes du Pater, en travaillant pour en sentir l’essence céleste, et en présentant à Dieu son désir et sa prière pour que cette essence se réalise sur la terre. Il ferait une grande chose pour son salut, celui qui, chaque jour, dans cet esprit, répéterait souvent le Pater, qui par là élèverait, émouvrait son esprit, pénétrerait son corps de ce mouvement d’esprit, et le réaliserait dans ses pensées, ses paroles et ses actions, dans l’accomplissement de tous ses devoirs ; qui, en d’autres termes, ayant fait son sacrifice d’esprit dans sa prière, continuerait ce sacrifice dans son corps et dans sa vie, accomplirait ainsi, devant Dieu et devant le prochain, son plein sacrifice chrétien d’esprit, de corps et d’action.

Malheureusement, parmi ceux qui récitent habituellement un grand nombre de Pater, il en est bien peu qui aient le moindre désir, et surtout qui fassent le moindre sacrifice pour que le nom du Père soit sanctifié, que son Règne arrive, que sa volonté soit faite, que la vérité, la justice s’accomplissent sur la terre ; il en est bien peu qui aspirent à obtenir le pain quotidien, car lorsqu’ils sont délaissés par la Grâce, ils supportent avec indifférence d’être privés du pain céleste, et ils sont satisfaits aussitôt que l’esprit de la terre ou même de l’enfer leur présente un aliment, c’est-à-dire, les anime et les fortifie ; peu leur importe la source d’où leur vient cette force, sur quel champ et pour quel but elle est employée. Dans cette disposition intérieure où manque l’amour de Dieu, où il y a même l’amour du mal, réciter un grand nombre de Pater, ce n’est qu’une pratique morte qui ne conduit à aucun progrès chrétien et n’approche nullement du but chrétien. L’homme fait à l’égard de son prochain le même abus des formes sans l’essence, dans cette profusion de formules de bienveillance, d’union, dans ces civilités, ces compliments habituels dans le monde et auxquels l’esprit ne prend aucune part. Par exemple, dans le monde, en adressant à quelqu’un le mot bonjour, combien peu de personnes tournent leur attention sur ce qu’elles disent et éveillent dans leur âme le désir que le prochain passe heureusement la journée ; et cependant ce désir éveillé et manifesté serait pour le prochain une force réelle qui l’aiderait. L’homme oublie ces paroles de Notre Seigneur : « Je vous déclare que les hommes rendront compte au jour du jugement de toute parole inutile qu’ils auront dite. » Cet exemple peut vous montrer, mes frères, ce que sont toutes les formes qui ne sont pas vivifiées par l’esprit qu’elles représentent, et qui souvent même lui sont contraires.

Quelle distance entre celui qui récite ainsi le Pater et le chrétien qui dirait dignement cette sublime prière, en se pénétrant de l’esprit de ces paroles, en éveillant en lui le tressaillement d’esprit qui leur est dû, en brûlant du désir et en prenant la résolution de faire tous les sacrifices pour que ce qu’il demande dans cette prière s’accomplisse sur la terre !

Dans son progrès séculaire, l’homme devra parcourir cette grande distance, il devra déposer devant Dieu son amour et le sacrifice qui en est le fruit naturel, le Verbe de Dieu recevra l’adoration qui lui est due, et vivra sur la terre comme il vit dans les cieux : « Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point », a dit Jésus-Christ.

Considérons, mes chers frères, les dommages qu’éprouvent, par rapport à leur salut, ceux qui récitent un grand nombre de prières sans apporter dans cette action l’esprit qui y est propre.

Jésus-Christ a dit : « Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. » Quand on honore Dieu des lèvres, quand, après avoir récité des prières machinalement, on croit avoir tout fait, on est satisfait ; on n’aspire alors à rien de plus, et l’on ne prend pas la croix de Jésus-Christ, sans la force de laquelle il est impossible de progresser dans la voie chrétienne. C’est ainsi que souvent ceux qui portent de lourdes croix extérieures, qui, par exemple, se donnent la discipline, font des jeûnes rigoureux, etc., rejettent la croix intérieure, l’amour, le sacrifice, ne recherchent pas la vérité, la Grâce de Dieu, par conséquent, sont intérieurement dans la sécheresse et le délaissement, et pourtant se croient riches de leurs mérites extérieurs. Il est souvent plus facile, après une faute, de s’humilier devant Dieu et de prendre la croix de Jésus-Christ ; il est souvent plus facile aux pécheurs publics de se convertir qu’à ceux qui se croient justes. C’est pour cela qu’Anne, Caïphe, les scribes et les pharisiens ont rejeté la vérité et la Grâce descendue du ciel, et sont morts dans l’endurcissement ; tandis que Madeleine, la Samaritaine, le bon larron se sont convertis et ont reçu la vérité et la Grâce. C’est ainsi qu’à cause de ses vertus extérieures, l’homme peut tomber dans un des plus grands péchés, l’orgueil, l’endurcissement. Dans ce péché l’homme s’arrête sur un point de sa route fausse, qui devient tout pour lui, s’y crée un royaume à part d’où il exclut toute tendance, tout progrès, toute vie supérieure, où il juge le Verbe de Dieu, le ciel ; il fait des systèmes, des doctrines contraires à la loi de Jésus-Christ, propage ces fruits de son péché, et par là étouffe la vie chrétienne. C’est contre ce péché que Notre Seigneur s’est le plus élevé ; il avait des paroles de pardon, de miséricorde, de consolation pour d’autres pécheurs, pour Madeleine, pour la femme adultère, etc., tandis qu’il faisait entendre les menaces de Dieu à ceux qui, tout en accomplissant rigoureusement les préceptes de la loi, en pratiquant les vertus extérieures, portaient en eux ce grand péché, cet endurcissement de l’esprit. « Malheur à vous, qui payez la dîme de la menthe..., et qui avez abandonné ce qu’il y a de plus important dans la loi, la justice, la miséricorde et la foi.... Vous nettoyez le dehors de la coupe et du plat.... Vous êtes semblables à des sépulcres blanchis.... Vous paraissez justes aux yeux des hommes, mais au dedans vous êtes pleins d’hypocrisie et d’iniquité.... » À ce même péché d’orgueil et d’endurcissement s’appliquent ces paroles de Notre Seigneur : « Vous fermez aux hommes le Royaume des cieux, car vous n’y entrez point vous-mêmes, et vous vous opposez encore à ceux qui désirent d’y entrer. » C’est ce péché qui a fait que Notre Seigneur a été jugé et crucifié ; c’est ce péché qui, pendant des siècles et encore de nos jours, s’oppose le plus à ce que le Verbe de Dieu ressuscite et vive sur la terre par l’homme, à ce que le progrès chrétien qui s’est arrêté reprenne son cours....

 

Le frère demande quel est l’idéal du chrétien et ce qu’il faut faire pour devenir un vrai chrétien.

 

Le vrai chrétien est celui qui ne voit devant lui que son but essentiel et y subordonne tous les autres ; qui se sacrifie dans son esprit, dans son corps et dans chacune de ses actions pour se rapprocher de ce but, pour accomplir la Volonté, le Verbe de Dieu, pour accomplir dans cette vie la pensée de Dieu qui repose sur lui. Le vrai chrétien, sentant le prix du temps, ne perd pas un instant, il travaille sans cesse à éveiller en lui l’amour et le sacrifice, pour remplir avec cette force tous ses devoirs chrétiens dans son esprit, dans son corps et dans tous les actes de sa vie, fût-elle la plus active et la plus large possible ; il travaille sans cesse tantôt à acquérir ce mouvement et l’aide de la Grâce qui l’appuie, tantôt à le conserver et à l’employer pour atteindre son but essentiel.

Vous voyez donc, chers frères, que, depuis son lever jusqu’à son coucher, le vrai chrétien ne doit pas interrompre son travail intérieur. Que cela ne vous effraie pas, car c’est par ce travail qu’on soutient en soi le mouvement d’esprit, le ton céleste apporté par Notre Seigneur, qu’on soutient la vie chrétienne, céleste, qui unit l’homme à Jésus-Christ, qui lui donne la paix et la joie en Jésus-Christ, qui le rend habitant du Royaume de Jésus-Christ, fils de son Église. Jésus-Christ a dit : « Veillez et priez, afin que vous ne tombiez point dans la tentation. » Au milieu de tant d’obstacles qui l’entourent, aussitôt que l’homme cesse de veiller, de prier, de se sacrifier, de travailler intérieurement, son esprit s’abaisse et tombe, comme tombe l’oiseau qui cesse de faire agir ses ailes. Quiconque ne bâtit pas démolit ; qui n’amasse pas dissipe ; qui ne s’élève pas tombe ; qui ne progresse pas recule. Cette loi du Royaume de Jésus-Christ, d’après laquelle il faut veiller, prier, se sacrifier sans cesse, ne jamais se décharger de la croix intérieure ; cette loi, d’après laquelle le chrétien ne peut une fois pour toutes se pourvoir de ce qui lui est nécessaire, ne peut jamais être tranquille et sûr comme on l’est dans le royaume de ce monde ; cette loi, qui oblige à demander chaque jour son pain quotidien, la force pour porter sa croix, a été cause que Jésus-Christ qui l’avait présentée a été crucifié. C’est parce que l’homme ne veut pas reconnaître cette loi que l’essence du christianisme est jusqu’à présent si peu connue et si peu pratiquée dans ce monde ; l’homme appelé à accomplir cette essence s’évertue à s’en affranchir en la remplaçant par des formes extérieures et des apparences chrétiennes qu’il a développées et perfectionnées outre mesure, et sous la multitude desquelles l’essence du christianisme est ensevelie à un tel point qu’elle pourrait être complètement perdue sur la terre si Notre Seigneur, qui veille sur le salut du monde, n’avait fait sa réclamation à l’homme dans ces jours qui commencent l’époque chrétienne supérieure.

Nous avons dit que le but du chrétien est l’accomplissement du Verbe de Dieu, et vous savez déjà, mes frères, que cet accomplissement consiste à s’élever, par la force de l’amour et du sacrifice, au degré que le Verbe de Dieu a destiné à l’homme d’atteindre, à élever à ce degré l’esprit, le corps et la vie sur la terre, à parcourir ainsi la voie chrétienne, à bâtir ainsi l’Église de Jésus-Christ, selon l’exemple qu’il a donné, et à s’établir au sommet de cette Église. Dans la sainte messe est présenté à l’homme son idéal suprême, le Verbe de Dieu accompli. Celui-là assiste fructueusement pour son salut à la sainte messe, qui, en adorant dans le très-saint sacrement le Verbe de Dieu accompli, éveille dans son âme un vrai désir d’accomplir lui-même le Verbe de Dieu, et, dans ce but, s’efforce d’augmenter son amour et son sacrifice ; il les dépose devant l’autel, afin d’obtenir d’en haut la lumière nécessaire pour connaître ce qu’il doit faire et la force pour réaliser son action ; en s’éloignant de l’autel il emporte avec lui le désir, la résolution et l’action, c’est-à-dire, la lumière et la force pour agir.

Lorsque le vrai chrétien n’obtient pas du ciel son pain quotidien, cette force nécessaire pour accomplir ses devoirs, il fait ce qu’il peut dans sa sécheresse, dans son dénuement intérieur ; il gémit, il prie, ne fût-ce que des lèvres et avec le cœur froid, il remplit ses devoirs avec le peu de force qu’il a, avec une crainte et une sollicitude chrétiennes plus grandes ; ne pouvant courir, ne pouvant marcher, il se traîne comme il peut vers son but ; mais dans cet état de sécheresse, de mort intérieure, il ne perd pas de vue son but essentiel, il ne change pas d’idéal, il ne s’égare pas, il ne se perd pas, car il ne prend jamais son dénuement et sa mort pour la richesse et la vie.

Vous sentirez facilement, mes frères, qu’avec cette tendance chrétienne, on peut être un homme naturel, sociable, on peut remplir tous les devoirs de sa vocation, être bon citoyen, bon mari, bon père, bon commerçant, bon ouvrier, etc. En vivant ainsi par la force chrétienne de l’amour et du sacrifice, on unit, selon la loi de Jésus-Christ, l’esprit avec le corps ; on unit le sacrifice d’esprit, la prière avec le sacrifice de corps et d’action ; on unit le ciel et la terre, non en faisant triompher la terre, élevant le royaume de ce monde, comme cela se pratique généralement, mais en faisant triompher le ciel, en élevant sur la terre le Royaume, l’Église de Jésus-Christ, but auquel Jésus-Christ appelle l’homme dans ces jours de l’époque chrétienne supérieure. Éveillez donc sans cesse en vous, mes chers frères, cette vie chrétienne, allumez en vous ce feu que Notre Seigneur a apporté sur la terre ; par cette force céleste, élevez-vous dans la voie chrétienne, accomplissez le Verbe de Dieu sur le champ où Dieu vous a placés. Par là vous imiterez Jésus-Christ, vous porterez sa croix, vous accomplirez sa loi céleste, vous serez de vrais chrétiens, vous chercherez et trouverez Jésus-Christ.

Gardez-vous de penser que l’on puisse trouver Jésus-Christ en puisant à une autre source qu’à celle qu’il a ouverte ; ceux qui le font prennent un détour caché sous une forme sainte. Il en est qui, rejetant l’amour et le sacrifice, cherchent Jésus-Christ dans la doctrine, mais ne le trouvent pas, ne parviennent pas à le connaître, quoiqu’ils ne pensent qu’à Jésus-Christ, ne s’occupent, ne parlent que de Jésus-Christ ; ils sont dans la sécheresse et la mort intérieure, car ils sont bien loin du vrai travail chrétien qui seul donne la vie et la joie en Jésus-Christ, qui seul rapproche de Jésus-Christ et donne la grâce de le sentir et de le connaître...

 

Le frère parle des différentes significations que l’on donne à l’amour.

 

Comme nous l’avons déjà dit, l’amour de Dieu est ce mouvement intérieur que l’homme doit sans cesse éveiller en lui, ce ton céleste auquel il doit accorder son esprit ; c’est le désir de s’unir au Père, au Fils et au Saint-Esprit ; et le travail chrétien par lequel l’homme peut arriver à cette union constitue le sacrifice chrétien, c’est la croix, le fardeau, le joug que Notre Seigneur a mis sur le monde. L’amour et le sacrifice, c’est le salut apporté au monde par Notre Seigneur.

Mais il faut distinguer ce mouvement céleste de l’esprit du mouvement terrestre des nerfs. L’esprit peut être inerte et dur, il peut rejeter l’amour et le sacrifice, tandis que les nerfs mobiles et sensibles présentent la sainte apparence de l’amour et du sacrifice. Le mal s’unit à cette inertie et à cette dureté de l’esprit, et, caché sous des apparences saintes, il agit plus puissamment sur le monde. Une grande partie du monde gémit sous ce joug du mal, et Dieu le permet pour que l’homme soit poussé par cette force à recourir aux armes chrétiennes, l’amour et le sacrifice, qui seuls peuvent faire distinguer l’essence chrétienne de ce qui n’en est que l’apparence, qui seuls peuvent, avec l’aide de la Grâce de Dieu, combattre le mal couvert de saintes formes.

Ce mouvement, ce ton céleste n’était point connu avant Jésus-Christ. Ceux qui étaient purs élevaient leur esprit vers Dieu, mais sans amour ni sacrifice. Il y a de nos temps des chrétiens qui, en élevant leur esprit sans amour ni sacrifice, croient acquérir une grande valeur chrétienne ; dans cet état d’élévation de l’esprit, ils disent souvent des choses célestes qui édifient le prochain, mais ils n’en profitent pas eux-mêmes ; quelquefois ils oublient ce qu’ils viennent de dire, et arrivent même à le combattre ; car sans la force chrétienne de l’amour et du sacrifice, ils ne peuvent sentir les trésors célestes qu’ils ont reçus. Avant la venue de Jésus-Christ, cette élévation d’esprit pouvait être un grand mérite pour l’homme ; mais aujourd’hui que, depuis dix-neuf siècles, la loi céleste a été donnée à l’homme, c’est un détour qui éloigne l’homme de l’accomplissement de cette loi. Ce n’est que par l’amour et le sacrifice que l’homme s’unit avec la Grâce, vit avec elle et par elle, est en communion avec Jésus-Christ et en union chrétienne avec le prochain ; c’est là le règne de Jésus-Christ sur la terre. En soutenant en soi ce mouvement, ce ton d’amour et de sacrifice, on a la force la plus grande qui puisse exister sur la terre, car alors c’est la puissance du Verbe de Dieu, la puissance du ciel qui vit sur la terre par l’homme. Si nous voyons souvent des hommes s’élever si haut par la force du génie terrestre, que ne feront-ils donc pas par la force du génie chrétien ?

 

Le frère demande ce que c’est que le génie chrétien ?

 

Ce qu’on appelle dans le monde génie, c’est ordinairement l’assistance donnée par des esprits inférieurs de la terre et souvent même de l’enfer ; le génie chrétien, c’est l’aide donnée par la Grâce de Dieu, par les puissances du ciel, par le Royaume de Dieu qui s’unit au mouvement, au ton d’amour et de sacrifice de l’homme. À ma grande douleur, j’ai trouvé peu de foi en la puissance de la Grâce ; on se confie volontiers en ce qui est inférieur, et on ne met pas sa confiance en ce qui est suprême. Aujourd’hui le chrétien est appelé à montrer au monde, réalisée dans sa vie, cette vérité que la Grâce de Dieu élève non seulement l’esprit de l’homme dans la prière, mais que, de même, elle peut aider, élever l’homme dans toutes les actions de sa vie ; que, par conséquent, en donnant entièrement son esprit à Dieu, on peut être un membre vivant, actif de la société, bien conduire ses affaires terrestres, etc. ; que sans cesser d’être petit et sot pour Jésus-Christ, on peut devenir grand et sage sur la terre par Jésus-Christ, en le faisant vivre et triompher par l’accomplissement de sa loi sur toutes les routes terrestres. C’est ainsi qu’on détruira cette opinion dangereuse, si généralement répandue dans le monde, qu’on ne peut vivre, agir, être grand sur la terre que par l’esprit de la terre, du prince de ce monde, en faisant vivre et triompher partout cet esprit, que, par conséquent, pour prospérer et s’élever sur les routes terrestres, il faut donner son esprit à ce qui est inférieur, et qu’on ne peut arriver à rien sur la terre en donnant son esprit à Dieu.

Il y a des hommes qui ne peuvent recevoir leur pain quotidien, la force pour leur esprit et pour leur corps, que de la source céleste, et pour qui toute autre source est fermée ; dès qu’ils sont privés de l’aide de la Grâce, de la vie chrétienne intérieure, ils deviennent faibles d’esprit et de corps, et si dépourvus de facultés terrestres qu’ils ne peuvent presque se rendre compte que deux et deux font quatre. On trouve une semblable disposition parmi beaucoup d’enfants, et ordinairement les parents et les instituteurs ne le comprennent pas ; au lieu d’aider de tels enfants à puiser à la source supérieure qui seule est ouverte pour eux, ils veulent les forcer à puiser à d’autres sources, et alors les efforts que font les enfants, non seulement sont stériles, mais les épuisent, altèrent leur santé, et maintiennent leur esprit dans l’inertie, l’accablement et la tristesse. Souvent les enfants sont entourés de tout ce que la terre peut leur donner ; ils ont des professeurs, des maîtres, des amusements, des agréments de toutes sortes, et ils sont privés de ce qui leur est indispensable ; personne n’entre dans leur position, n’apprécie leurs besoins intérieurs, ne s’adresse à leur esprit, n’éveille leur vie intérieure, et lorsque, par la Grâce de Dieu, cette vie s’éveille en eux, personne ne s’y unit ni ne l’appuie, et souvent même on la combat et on l’étouffe. Souvent des maris agissent de même envers leurs femmes ; ils les comblent d’amour, de prévenances, de tous les biens extérieurs, mais elles ne reçoivent pas de leur part l’amour chrétien, l’union d’esprit, l’amitié véritable. – Vous pouvez voir par là, mes chers frères, combien il y a sur la terre de maux dont l’homme ne peut apprécier la source sans connaître et pratiquer la loi de Jésus-Christ.

 

La sœur demande s’il est utile de se servir de livres de prières.

 

Quand, à cause de notre sécheresse, nous ne pouvons prier intérieurement, il nous est très utile de chercher une aide dans des livres où sont déposés les fruits de la prière intérieure ; tout ce qui nous émeut et nous élève vers Dieu nous est salutaire. En ceci, le but, c’est la prière intérieure par laquelle l’homme dépose devant Dieu son amour et son sacrifice, et les livres de prières ne sont qu’un moyen d’aider à atteindre ce but. Un père serait-il satisfait si son enfant, au lieu de lui exprimer son propre sentiment, lui lisait sèchement dans un livre le sentiment d’autrui ? Combien, au contraire, il sera touché si son enfant lui dit seulement du fond de son âme : « Mon père ! mon cher père ! » Ces simples paroles nous donnent l’idée de ce que doit être la prière intérieure. En se servant de livres de prières, il faut s’efforcer d’en comprendre les paroles, de les sentir et de s’y unir ; mais aussitôt que nous sommes touchés, que l’amour, le sentiment s’éveillent en nous, aussitôt que le sacrifice d’esprit, la prière intérieure est déposée par nous devant Dieu, nous passons à nos autres devoirs chrétiens, nous employons la force que nous avons acquise dans la prière à travailler à la gloire de Dieu, à notre salut et au salut du prochain.

 

La sœur demande comment elle peut appliquer cette vérité à sa vie de chaque jour.

 

Nous avons dit que la lumière, la force chrétienne et l’action accomplie avec cette lumière et cette force, c’est tout pour l’homme, car c’est l’accomplissement de la Volonté de Dieu, du Verbe de Dieu. Par sa prière, par son sacrifice d’esprit, l’homme doit puiser au ciel la lumière et la force, son pain quotidien, et employer ce bien céleste à élever son esprit, son corps et sa vie ; ce n’est qu’ainsi qu’il peut faire son salut, glorifier Dieu le Père, et contribuer sur la terre au triomphe de Dieu le Fils.

Chacun, selon sa position intérieure et extérieure, a un cercle, un ensemble de devoirs à remplir. Il faut employer la lumière et la force acquises dans la prière à connaître ce cercle et à y accomplir à chaque moment ce qui est destiné ; il faut les employer à vivifier chaque point de ce cercle, à y entretenir le mouvement, sans lequel la mort intérieure arriverait et arrêterait tout progrès. Il y a dans ce cercle des points intérieurs ; ce sont les devoirs que nous avons à remplir au-dedans de nous, envers Dieu, envers nous-mêmes et envers notre prochain. Commençons par ces devoirs dont l’accomplissement nous facilitera celui de tous les autres ; déposons devant Dieu, dans notre prière, notre amour et notre sacrifice ; éveillons en nous l’amour de Dieu, l’amour de tout ce qui est au-dessus de nous ; éveillons-y l’amour pour le prochain, notre égal, et pour tout ce qui nous est inférieur sur la ligne de Dieu, sur cette ligne qui relie au Créateur tous les degrés de la création ; réveillons-y aussi l’horreur chrétienne contre le mal qui s’oppose à Dieu, contre tout péché que nous sentons en nous-mêmes, et principalement contre ces points impurs, les plus contraires au salut, que l’homme cache dans son intérieur et défend obstinément devant son prochain et devant sa propre conscience. Remplissons en nous ce même devoir d’amour et d’horreur chrétienne à l’égard de notre prochain, et surtout des personnes que Dieu a placées dans le cercle de nos devoirs. Aimer le salut du prochain, détester le mal qu’il porte, cet ennemi de son salut, désirer s’unir en Jésus-Christ avec le prochain et se sacrifier pour l’aider à se délivrer du mal, c’est avoir l’amour chrétien du prochain ; être indifférent, tolérer le mal, se contenter de l’union extérieure, ce n’est pas avoir l’amour chrétien. Ces points intérieurs étant vivifiés par nous, passons aux points extérieurs de notre cercle, c’est-à-dire aux devoirs que nous devons accomplir au dehors de nous par l’esprit uni au corps. Pour vous, ma sœur, vous avez de tels devoirs envers votre patrie, envers vos supérieurs spirituels et temporels, avec qui vous devez tâcher de vous unir en Jésus-Christ, envers votre famille, envers les sœurs de votre congrégation, en un mot, envers tous ceux qu’il plaira à Dieu de placer dans le cercle de vos devoirs. Vous devez à tous votre sacrifice, dans la mesure qui vous est destinée, mesure que Dieu voit et que vous sentirez en veillant et en priant. Il faut, ma sœur, porter en vous l’intérêt, la sollicitude chrétienne pour le vrai bien du prochain, et vous efforcer, en vue de ce bien, de faire tout ce que vous pouvez ; vous le devez au prochain à qui Dieu a destiné cette aide de votre part ; et cette charge que Dieu a mise sur vous, l’amour du prochain vous la rendra légère et facile à porter.

Dans vos rapports avec vos supérieurs spirituels et temporels, l’obéissance passive ne suffit plus. Notre Seigneur Jésus-Christ, en appelant aujourd’hui l’homme à l’essence de sa loi, à l’amour, au sacrifice, à la vie, à la fraternité chrétienne, l’appelle à la liberté résultant de l’entière soumission à sa loi qui doit être plus connue, plus aimée et mieux accomplie. Vous devez être soumise à vos supérieurs, mais en conservant votre liberté chrétienne, c’est-à-dire, en obéissant avant tout à Jésus-Christ et, selon ses paroles, en rendant à Dieu ce qui est à Dieu, et à César ce qui est à César. Vous ne pouvez le faire que par un amour et un sacrifice plus grands ; toute autre force, tout autre moyen sont inefficaces sur ce champ difficile où Dieu place l’homme afin qu’en vainquant cette difficulté, il produise devant Lui le fruit de son amour et de son sacrifice plus grands.

En général, dans notre prière, implorons, mes chers frères, la lumière et la force nécessaires pour accomplir tous nos devoirs ; imitons en cela Notre Seigneur qui, dans sa prière au jardin des oliviers, a puisé la force d’accomplir son action suprême. Ce matin, par exemple, j’ai senti que mon premier devoir était de vous servir ; j’ai demandé à Dieu la lumière et la force nécessaires, et vous voyez combien de points j’ai notés. Je vous engage à avoir toujours sur vous un carnet, afin que ce que Dieu vous donnera ne se perde pas ; vous savez bien qu’on ne jette pas dans la boue la plus petite pièce de monnaie. Il ne faut pas remettre à plus tard pour noter ; ce que l’on confie à la mémoire s’affaiblit toujours ; il faut conserver fidèlement ce que le Saint-Esprit nous inspire, afin d’y travailler, de nous en pénétrer et de l’accomplir.

Parmi les points de votre cercle, il en est qui sont plus essentiels que d’autres, sur lesquels vous devez travailler d’abord ; il faut chaque jour, en examinant tous les points, voir quels sont ceux sur lesquels vous devez agir dans la journée. Par exemple, le matin en priant, vous sentez que vous devez ce jour-là parler plus à fond avec votre père ou avec quelque autre personne, que vous devez vous épancher, ou bien défendre votre liberté chrétienne, etc. Je vous engage à noter pendant votre prière ce que vous devez faire et comment vous devez le faire, à noter, par exemple, l’idée principale que vous devez présenter. Ce travail doit se faire dans la prière du matin, mais il est bon d’y penser d’avance le soir et de se coucher en y pensant.

J’ajoute que le cercle des devoirs peut souvent se modifier, qu’il y a des points fixes et d’autres variables. Par exemple, vous savez quel est le cercle de vos devoirs à Turin, mais ce cercle est bien différent maintenant que vous êtes à Zurich, et à plus forte raison pendant votre voyage. Or, de même que, pendant la guerre, un général modifie son plan selon les diverses positions où il se trouve, mais sans cesser néanmoins de voir et de poursuivre son but, de même le chrétien, dans quelque position que Dieu le place, ne cesse jamais de tendre vers son but ; il a toujours devant les yeux son cercle dont il vivifie les points principaux par son amour et son sacrifice, et c’est cette tendance non interrompue qui constitue sa vie chrétienne. Sans son but, et sans la tendance continuelle vers ce but, l’homme tombe dans la mort intérieure, il languit, il végète, ou il est poussé, sous la loi de la force, par les maladies, les souffrances et d’autres croix lourdes, à éveiller en lui la vie qu’il n’a pas voulu soutenir par son amour, par son sacrifice, en portant la croix légère qui lui est destinée.

 

À la demande des frères, Towiański, appliquant ces vérités à divers détails concernant les voyages, leur dit entre autres choses :

 

En voyage, on perd très facilement ce qu’on a amassé chez soi. Nous lisons dans l’Imitation de Jésus-Christ : « Qui multum peregrinantur raro sanctificantur » (Il en est peu qui se sanctifient par de fréquents pèlerinages). Pourquoi cela ? C’est qu’en passant promptement par différents lieux, on est sous l’influence de divers esprits qui habitent ces lieux, et comme il est impossible dans un temps si court de s’unir à ces esprits ou de les vaincre, on est bientôt dissipé et troublé, et le mal profite de cet état : « In turbine piscatur » (On pêche dans l’eau trouble). Il faut redoubler de sacrifice intérieur, il faut veiller et prier plus que jamais pour maîtriser cette sorte de fièvre causée par la rapidité du voyage, pour maintenir sa liberté, sa vie intérieure. Ceux dont l’esprit est dans la mort sont exempts de ce danger ; ils dormaient chez eux, ils dorment dans la diligence...

Pendant le voyage il faut profiter, autant que possible, de la nature qui, en éveillant des pensées pures, aide à s’élever vers Dieu. La nature est comme un grand livre de Dieu, dans lequel il faut lire chaque fois que l’occasion s’en présente. Il faut chercher Dieu partout et profiter de tout ce qui facilite notre vie, notre prière intérieure et, par conséquent, notre progrès chrétien.

En vous arrêtant dans un hôtel, vous ne pouvez vous dispenser d’avoir des relations avec les gens qui en composent le personnel. Il faut donc profiter de chaque occasion pour diriger leur empressement, leurs prévenances vers un but chrétien, vers l’union chrétienne. On dit quelques paroles ; dans le moment même elles semblent inutiles, mais comme elles viennent d’un intérêt véritable, elles germent quelquefois dans le cœur du prochain et tôt ou tard elles portent leur fruit ; il est déjà arrivé en pareil cas qu’en revenant quelques années après dans le même hôtel, on y a trouvé sa famille en Jésus-Christ...

En veillant et en priant sans cesse, vous sentirez peut-être que Dieu a mis sur votre chemin d’autres personnes à servir, d’autres devoirs à remplir. Il y a des personnes qui, dans leurs voyages, ayant senti de semblables appels, se sont arrêtés dans un endroit, même en s’exposant à des pertes matérielles. Ainsi un serviteur de l’Œuvre de Dieu, en passant récemment par un village, s’y arrêta pour réclamer contre les traitements barbares qu’on y faisait souffrir à des chevaux, à des chiens et même à des oies que, par spéculation, on dépouillait toutes vivantes de leurs plumes. Dieu bénit son sacrifice ; le curé de l’endroit, profondément ému, appuya devant les habitants cette réclamation, et le voyageur chrétien passa deux jours chez lui dans une véritable union. N’est-il-pas mieux de voyager ainsi qu’en se hâtant, en ne s’intéressant à rien, en ne pensant qu’à ses affaires ou à ses plaisirs ?...

Mais voici un point grave pour le chrétien, et moins facile qu’il ne le paraît. Avant de quitter l’hôtel, il faut payer son compte, et il arrive souvent qu’on vous demande le double, le triple de ce qui est juste. Que faire ? dira-t-on, c’est une affaire de conscience et tout-à-fait arbitraire... Et cependant l’amour chrétien peut-il voir avec indifférence le péché du prochain et appuyer ce péché ? Il faut, dans une telle position, un grand sacrifice pour agir selon la loi chrétienne, pour montrer l’injustice dans un ton tel que cet exposé n’amène pas une querelle qui augmenterait la force de celui qui agit contre la vérité ; pour que l’injustice soit exposée dans l’intérêt du prochain et non dans le sien propre, avec douleur, non sur le tort qu’on éprouve, mais sur celui que se fait le prochain ; pour que la perte matérielle que le voyageur doit subir soit compensée par le profit spirituel qu’il désire donner à son prochain. Ordinairement, dans ce cas, l’hôtelier triomphe par la force du mal qui l’appuie, et le voyageur, pour éviter la difficulté, supporte patiemment ce triomphe du mal, ou bien, si quelquefois il réclame, c’est par des reproches, avec humeur ou mépris. Parmi de nombreux exemples que je pourrais citer, en voici un bien instructif. Cet été, je vois sur le bateau à vapeur un étranger qui lit un compte d’hôtel en soupirant profondément. Je m’approche de lui, je lui parle, et il me communique ce compte. J’y trouve un abus peu commun : on lui a fait payer pour un souper très modeste, le lit et le café du matin, plus de 9 francs, et tout est détaillé dans la note afin de rendre l’abus moins frappant ; ainsi, on lui compte le café complet, quoique, par économie, il n’en ait pris que très peu ; 1 fr. pour la bougie qu’il n’a employée qu’un moment ; 1 fr. pour le service, etc. Je fais alors le compte selon ce que je paie dans les hôtels honnêtes, cela monte à moins de 3 francs, et il faut dire que, dans un hôtel chrétien, cela coûterait à peine 2 fr. Ce voyageur était un mécanicien qui gagnait de 3 à 4 francs par jour et avait une femme et des enfants. J’entre dans sa position, je témoigne ma douleur sur cet abus, et j’indique, d’après ma propre expérience, comment on peut éviter, du moins en partie, de pareils abus. À ce moment, le mal touche le voyageur par la vanité ; il commence à vanter la politesse du maître d’hôtel qui l’a accompagné jusque dans la rue, la considération que lui ont témoigné les gens de service, et ensuite il se met à défendre le maître d’hôtel qui, dit-il, paie tout fort cher et doit tirer l’intérêt de son capital, etc. ; enfin il combat avec force la vérité, s’unit à l’injustice, et par là donne un plein triomphe au mal. Chose étrange ! cet homme était simple et bon ; pourquoi donc a-t-il agi ainsi contre sa nature ? Uniquement à cause de son amour pour la fausse paix et de sa répugnance pour le sacrifice, cependant si minime, auquel l’appelait le sentiment du prochain qui entrait dans sa position, qui prenait part au tort qu’on lui avait fait. Oh ! combien nous voyons d’exemples de l’union donnée au mal par ceux mêmes que le mal opprime, et cela uniquement pour rejeter plus facilement, dans cette union, la croix de Jésus-Christ, le sacrifice chrétien ! Il arrive souvent qu’un homme doux, bienveillant, tolérant, qui pardonne toujours à ses ennemis les souffrances, les croix extérieures que ceux-ci font peser sur lui, ne veut pas pardonner à son meilleur ami qui lui présente, pour son salut, la croix de Jésus-Christ, et par là lui ravit sa fausse paix. C’est ce que Notre Seigneur lui-même a éprouvé au plus haut degré : ceux qui étaient ennemis les uns des autres se sont réconciliés et unis pour repousser la croix, le sacrifice, se sont unis dans une même haine contre Jésus-Christ, c’est-à-dire contre sa croix ; l’homme qui, créé à l’image et à ressemblance de Dieu, porte en lui une parcelle du ciel, s’est ligué avec la terre et l’enfer pour repousser le ciel, pour repousser la croix qui seule donne la vie céleste. Pendant des siècles, les serviteurs de Jésus-Christ, qui mettaient sur l’homme la croix de Jésus-Christ, ont éprouvé la même chose, à tel point que, jusqu’à présent, sur la terre, c’est, on peut le dire, à la haine et à la persécution qu’ils éprouvent qu’on peut reconnaître les vrais serviteurs de Jésus-Christ. C’est ce qu’éprouvent encore aujourd’hui les serviteurs de l’Œuvre de Dieu ; ceux qui étaient entre eux des ennemis déclarés s’unissent pour combattre cette Œuvre qui leur rappelle la croix de Jésus-Christ. Ainsi, par exemple, une mère ne pouvait supporter l’impiété et la mauvaise conduite de son fils, et elle lui reprochait sa haine contre l’Œuvre de Dieu qu’il persécutait sans la connaître ; bientôt après elle reçoit elle-même un appel à la croix de Jésus-Christ par un prêtre qu’elle estimait beaucoup, qui était serviteur de l’Œuvre de Dieu et à qui elle-même avait présenté l’occasion de la servir ; la vérité et l’appel à la croix l’irritèrent tellement qu’elle s’unit avec son fils dans sa haine contre l’Œuvre de Dieu, et depuis ce moment, cette haine est devenue, entre la mère et le fils, la base d’une complète harmonie.

 

Le frère demande ce qu’il doit faire pour acquérir l’humilité, la crainte de Dieu et les autres vertus chrétiennes qu’il sent souvent lui manquer.

 

Je vous répondrai, mon frère, par une comparaison. Quand le feu brûle, il rayonne et éclaire tout. Si vous voulez éclairer une chambre, vous ne cherchez pas à éclairer chaque coin séparément ; vous allumez la lampe, vous la mettez au centre, et toute la chambre est éclairée. Faites de même pour acquérir les vertus chrétiennes : maintenez dans votre âme ce feu que Jésus-Christ est venu jeter dans la terre et qui doit y être allumé, maintenez en vous l’amour, le sacrifice, la vie intérieure, et alors de ce foyer rayonneront toutes les vertus, toutes les parcelles du caractère chrétien. En maintenant ce foyer dans votre âme, pensez, parlez, agissez dans la liberté chrétienne et avec la confiance que la Grâce de Dieu vous conduira. Cela vaut mieux, mes chers frères, que de peser chaque parole que l’on dit, chaque pas que l’on fait, et, par crainte de mal faire, de ne rien faire du tout. Une telle circonspection, loin d’être une vertu, est un péché qui se couvre de l’apparence des vertus chrétiennes. En ne faisant pas ce que Dieu a destiné de faire, en offensant ainsi Dieu, en faisant tort au prochain, on se tranquillise par des formes, on tombe dans la mort, et, dans le monde, on triomphe extérieurement par les apparences d’une sainteté visible, tandis que, dans son intérieur, on porte le péché invisible.

Vous voyez donc encore que la seule chose pour l’homme, c’est, selon les paroles de Notre Seigneur, de veiller et de prier, de maintenir le feu de Jésus-Christ, d’entretenir cette lampe dont parle l’Évangile. La Grâce aide dans ce travail, s’unit avec l’ouvrier fidèle, et lui donne la force de vaincre le mal pour acquérir le bien, pour accomplir le Verbe de Dieu.

Vous avez, mon cher frère, un trésor intérieur, mais il n’est pas vivifié par vous, il est mort. Quand un homme dort, fût-il l’homme le plus savant, il ne sait rien, il est comme un enfant d’un an, comme un animal, mais aussitôt qu’il se réveille, il recouvre ses trésors intellectuels.

 

Les frères disent que cette vérité s’applique à l’Italie entière.

 

Oui, mes frères, la nation italienne est riche par les trésors d’esprit qu’elle a acquis dans les siècles, mais elle ne fait pas vivre ces trésors, elle ne les réalise pas dans sa vie privée et publique qui est bien inférieure à son esprit. Il faut qu’elle se réveille et commence à vivre selon la nature de son esprit, il faut qu’elle se régénère en Jésus-Christ. C’est la première action chrétienne à laquelle Dieu appelle aujourd’hui plus fortement ses enfants plus âgés ; cette action que les Italiens doivent accomplir en eux-mêmes doit précéder leurs actions extérieures ; la liberté chrétienne recouvrée dans leur intérieur doit précéder la liberté politique qui n’est qu’extérieure. Oui, mes frères, il faut que les Italiens se réveillent ; quand un lion dort, les souris mêmes courent sur lui, tandis que tous les animaux tremblent quand il se réveille. L’Italie dort, et qu’est donc son caractère actuel si on le compare à son caractère vrai, conforme à son esprit ? L’esprit est grand, l’homme est petit, ce qui est le plus contraire à la pensée de Dieu, au Verbe, à la loi de Notre Seigneur Jésus-Christ, qui élève l’esprit à la hauteur qui lui est assignée, et élève l’homme à la hauteur de son esprit. Mais quand l’Italie se réveillera et se régénérera en Jésus-Christ, quand elle commencera à réaliser ses trésors intérieurs dans sa vie extérieure, ce sera un lion par sa force chrétienne ; cette force aplanira les obstacles intérieurs et extérieurs accumulés pendant les siècles passés ; elle délivrera les Italiens, délivrera les esprits et les hommes du pouvoir du mal qui ne les opprime que par la permission de Dieu. Les Italiens, à cause du germe de leur esprit, de leurs comptes devant Dieu et des voies fausses par lesquelles ils ont passé, sont sous une loi exceptionnelle et ne peuvent attendre leur bonheur que de la source chrétienne.

Après avoir répondu à vos questions, je vous présente, mes chers frères, un point que je sens bien grave pour vous qui, par la miséricorde de Dieu, avez reçu une lumière chrétienne plus grande. Lorsque, pour servir le prochain, vous serez dans le cas de parler de ce que je vous ai présenté, vous devez le faire avec amour et sacrifice, vous devez connaître, aimer et porter vivant en vous tout ce que vous direz ; vous devez donc travailler pour que tout cela se développe en vous et devienne le vôtre ; vous devez aussi le mettre à la portée du prochain, le conformer à sa disposition intérieure, et par là agir avec la prudence chrétienne que Notre Seigneur a recommandée.

Mais avant tout, vous devez déposer la mesure d’amour et de sacrifice qui vous est destinée, pour vous unir avec les ministres de l’Église et servir votre prochain en union avec eux, pour appliquer ce que vous avez reçu aux commandements et aux règles de l’Église. Dans ces jours de l’époque chrétienne supérieure, où Dieu donne dans son Œuvre une aide extraordinaire à l’homme pour son salut, les ministres de l’Église sont appelés à puiser les premiers à cette source de la miséricorde de Dieu, car de même qu’ils ont conduit l’homme et le conduisent à présent, ils le conduiront aussi dans les époques chrétiennes futures, jusqu’à la fin du monde, jusqu’à l’accomplissement du Verbe de Dieu. Telle est la pensée immuable de Dieu qui repose sur l’Église ; c’est pourquoi Notre Seigneur exige des serviteurs de son Œuvre cette mesure d’amour et de sacrifice, pour appuyer leur service et les protéger au milieu des nombreux obstacles qui se sont élevés. Si les serviteurs de l’Œuvre n’accomplissaient pas ce devoir essentiel, ils présenteraient l’Œuvre de Dieu dans une lumière fausse, et au lieu d’aider le prochain, ils lui causeraient un dommage, ils attaqueraient la pensée de Dieu qui repose sur l’Église, ils s’éloigneraient du but marqué par Jésus-Christ : « un seul troupeau et un seul pasteur ».

Il faut, mes chers frères, éveiller en vous pour le prochain l’amour véritable qui entre dans sa position, dans ses difficultés intérieures et extérieures, et appliquer à cette position chaque vérité présentée au prochain. La vérité est toujours la même, mais les moyens de l’exprimer, de l’appliquer sont différents ; par exemple, Jésus-Christ est toujours le même dans sa divinité et sa puissance, mais vous parlerez de Jésus-Christ à un enfant de quatre ans autrement qu’à un jeune homme de vingt ans, et à celui-ci autrement qu’à un homme mûr qui a travaillé, qui a médité profondément. Pour réaliser cet amour dans vos actions, ma sœur, si vous parlez, par exemple, sur la question des prières aux sœurs de votre congrégation, vous ne leur conseillerez pas d’en diminuer le nombre prescrit par la règle, mais vous leur exposerez l’essence et le but de la prière, et aussitôt qu’elles sentiront la vérité sur ce point, elles trouveront d’elles-mêmes ce qu’elles devront faire. Dès qu’elles commenceront à dire les prières dans un esprit vrai, elles n’auront pas la force d’en réciter un aussi grand nombre qu’auparavant. Peut-être parmi elles, Dieu seul le sait, s’en trouvera-t-il quelques-unes qui pourront, avec le même esprit, en réciter un grand nombre, élever par là leur esprit et employer cette force à l’accomplissement du Verbe de Dieu ; peut-être y en aura-t-il d’autres qui, d’après le degré du progrès chrétien où elles se trouvent, devront continuer à prier comme auparavant, et qui, en répétant les prières sans se pénétrer de leur signification, se préparent ainsi peu à peu à les comprendre et à les sentir ; peut-être est-ce là seulement ce qui les préserve du péché, des mauvaises pensées, des mauvaises actions. Détourner de la prière extérieure, machinale, celui qui ne peut pas faire devant Dieu le sacrifice d’esprit, la prière intérieure, ce serait le détacher de l’Église, car n’étant pas encore dans l’Église par le sacrifice, par l’essence, il n’y serait plus même par la forme, il cesserait d’aller à l’église, de prier, et ce serait pour lui une source de nombreuses déviations. Chaque fois que Notre Seigneur nous y appelle, présentons au prochain la croix intérieure que le Verbe de Dieu a destinée à l’homme, mais ne le déchargeons pas des croix extérieures qu’il porte, de crainte qu’il ne reste sans aucune croix, ce qui l’amènerait à une mort complète, dans laquelle son progrès serait entièrement arrêté. Jésus-Christ a montré à l’homme la voie la plus courte et lui a donné dans sa croix la force de marcher sur cette voie ; néanmoins les croix extérieures, quand elles sont portées pour Jésus-Christ, peuvent rapprocher l’homme de son but, quoique par une route plus longue, car elles le préparent à accepter la croix intérieure. Les croix extérieures sont souvent aussi pour l’homme une pénitence qu’il doit faire pour avoir repoussé la croix intérieure. Réjouissons-nous donc et remercions Dieu toutes les fois que nous voyons notre prochain se diriger vers son but, même par une voie plus longue ; cela dépend de sa force et de ses difficultés, dont la mesure est la conséquence de ses comptes devant Dieu. Par exemple, par suite de ses comptes, un homme a un corps tout matériel, animal, non soumis à l’esprit ; quoiqu’il désire travailler à son salut, le pourra-t-il aussi facilement que celui dont le corps est spiritualisé, soumis à l’esprit ? Il en est de même pour les difficultés intérieures ; l’un est presque libre des tentations, il ne rencontre sur sa route presque aucun obstacle d’esprit, tandis qu’un autre est continuellement sous l’obsession du mal, il ne peut faire un pas sur sa route sans de grands efforts et de grandes luttes.

Respectons dans chacun la foi, la simplicité, la bonne volonté de servir Dieu, de travailler à son salut d’après la lumière, les forces et les difficultés qu’il a. Distinguons les chrétiens simples, sots pour Jésus-Christ, qui font ce qu’ils peuvent, de ceux qui, en rejetant la croix, le sacrifice, en accomplissent seulement les formes pour étouffer leur conscience et nourrir leur orgueil. Combattons le mal, mais respectons la marche du prochain qui, par une voie ou plus courte ou plus longue, tend vers le même but, le but chrétien. J’arrête votre attention sur ce point, mes chers frères. J’ai vu, surtout parmi les paysans polonais, des chrétiens qui récitaient des prières sans les comprendre, mais qui, en priant ainsi, tournaient leur esprit vers Dieu, s’efforçaient intérieurement, s’humiliaient, étaient contrits, attendris, et déposaient devant Dieu le sacrifice d’esprit, la prière intérieure, faisaient donc tout ce qu’ils pouvaient pour Dieu et pour leur salut. On voit souvent parmi eux des gens tout simples qui, ne comprenant pas les paroles du prédicateur, fondent en larmes, profondément émus par quelque vérité chrétienne qui s’est présentée à leur esprit et qu’il leur semble avoir entendue du prédicateur. Cela prouve que l’homme comprend peu, mais que son esprit voit et sent beaucoup ; cela prouve son peu de civilisation terrestre et sa grande civilisation chrétienne, le grand progrès chrétien qui se fait en lui ; l’homme est petit par l’intelligence, son esprit est grand par l’amour, le sacrifice, le sentiment chrétien.

Vous verrez à Einsiedeln, mes chers frères, de nombreux exemples de ces vertus chrétiennes ; vous y verrez, par exemple, quel grand profit chrétien le pèlerin, sot pour Jésus-Christ, tire de ces petites figures informes d’argile, représentant la Sainte Vierge, dont on vend plusieurs pour un centime ; il les emporte chez lui, et par ces images qu’il distribue à sa famille et à ses amis, il réveille en eux le sentiment chrétien et s’anime lui-même. Le monde corrompu, riche en trésors terrestres et qui ne voit que le signe extérieur si pauvre, s’en moque, car il n’est pas en état d’apprécier le grand trésor chrétien, céleste, que la foi, la simplicité reçoivent par ce signe ; malheureusement il ne sait pas combien il devra travailler et souffrir dans l’avenir pour recouvrer le trésor intérieur qu’il a perdu. C’est un beau caractère que montrent ces pèlerins en défendant leur trésor intérieur contre toutes les attaques du monde corrompu ; ils fuient comme la peste les livres qui attaquent leur foi, ils ferment l’oreille aux propos impies, ils ne voient même pas le rire qui se moque de leur simplicité, car au milieu de toutes les attaques dirigées contre eux, ils prient, ils chantent, ils conservent leur ton chrétien, et passent ainsi au milieu de la boue sans en être salis. C’est là un grand modèle pour le monde civilisé qui, pour le moindre motif terrestre, renie Jésus-Christ.

 

Les frères disent que ce devoir d’appliquer la vérité à la position du prochain n’est pas facile, qu’il exige une grande lumière.

 

Je le trouve au contraire très facile ; pour l’accomplir, les théories, les doctrines seraient impuissantes, vous n’en avez pas besoin. Tâchez seulement d’éveiller en vous l’amour vrai du prochain, le désir de lui faire du bien, de l’aider, de vous unir avec lui en Jésus-Christ, faites dans ce but tout ce que vous pouvez, et la Grâce vous éclairera, vous inspirera même ce que vous devrez dire. Que de fois les vérités chrétiennes les plus sublimes présentées au prochain ne lui ont fait aucun bien chrétien, et une seule parole simple l’a touché, vivifié, a éveillé en lui la contrition, lui a ouvert la voie chrétienne. Dans ce cas, c’est la Grâce qui a donné le remède efficace que l’homme, son instrument aveugle, était bien loin de connaître, c’est la Grâce qui a inspiré cette parole simple et l’a rendue féconde. L’homme qui, possédant une grande lumière chrétienne, croit que cette lumière suffit pour donner le salut au prochain, peut être comparé à un pharmacien qui possède une grande quantité de remèdes et qui, en les donnant indistinctement à un malade, pourrait le tuer, tandis que le médecin, qui connaît la maladie, choisit parmi tous ces remèdes celui qui convient au malade.

 

Le frère rappelle les paroles suivantes de Towiański : « La base de l’Église de Jésus-Christ est dans l’esprit des vrais fils de Jésus-Christ, mais on ne s’élève que très peu de cette base. » Il dit que cependant plusieurs chrétiens s’élèvent très haut dans leur prière, qu’il y en a même qui arrivent à l’extase, etc.

 

Souvent on élève son esprit dans la prière, mais il est bien rare qu’on y élève l’esprit uni au corps et agissant sur la terre. Quand l’homme, dans sa prière, dans son sacrifice d’esprit, s’élève vers le ciel, son esprit entre dans le Royaume, dans l’Église de Jésus-Christ qui triomphe dans les cieux ; mais quand, après avoir élevé son esprit, il élève avec la même force du sacrifice son corps, sa vie, ses actions, c’est alors seulement que l’homme complet, c’est-à-dire l’esprit uni au corps et vivant sur la terre, s’élève vers le ciel selon la loi de Jésus-Christ, s’y élève avec le fardeau qui lui est destiné, et l’homme entre dans l’Église de Jésus-Christ qui se bâtit sur la terre, il la bâtit lui-même, l’élève, étend le Royaume de Jésus-Christ sur la terre, progresse sur la voie chrétienne, et accomplit ainsi le Verbe de Dieu.

Jusqu’à présent l’homme accomplissait dans sa prière une partie du sacrifice chrétien, mais il négligeait les autres parties de ce tout très saint et indivisible ; il était rare qu’à l’exemple de Jésus-Christ, il accomplît le sacrifice chrétien dans sa plénitude, ce qui cependant constitue l’essence de la loi que Notre Seigneur a donnée non pour l’esprit seul, mais pour l’homme, pour l’esprit vivant dans le corps, afin que l’esprit, en portant le fardeau du corps, élève le corps, et que, par son sacrifice, son travail fait pour l’élever, il s’élève lui-même. Tel est le progrès chrétien que l’Amour et la Sagesse suprêmes ont destiné à l’homme ; c’est ce progrès que Notre Seigneur réclame de l’homme dans ces jours de l’époque chrétienne supérieure ; c’est pour ce progrès que Notre Seigneur réclame que sa croix soit portée, que son sacrifice soit accompli dans sa plénitude.

 

Les frères disent que plusieurs hommes sont devenus saints rien que par la prière.

 

Oui, mes frères, l’élévation de l’esprit dans la prière était conforme à la volonté de Dieu, était sur la voie du progrès chrétien de l’homme ; car l’esprit de l’homme devait d’abord se détacher de la terre, s’élever vers le ciel et se fortifier par son union avec le ciel, pour pouvoir ensuite élever le corps et vivre, dans le corps, de la vie du ciel, de la vie chrétienne. C’est d’abord dans l’esprit de l’homme qu’a dû s’établir l’Église, le Royaume de Jésus-Christ, pour que cette Église, ce Royaume pût ensuite s’établir sur la terre. « Si un homme ne renaît de l’eau et du Saint-Esprit, il ne peut entrer dans le Royaume de Dieu.... Personne n’est monté au ciel que celui qui est descendu du ciel » ; ce sont les paroles de Notre Seigneur. Dans les siècles passés, beaucoup de fidèles, en suivant cette voie de l’élévation de l’esprit, ont accompli la pensée de Dieu qui reposait sur eux, se sont sanctifiés, et, par leur exemple, ont éveillé l’homme à se diriger vers son but suprême. Aujourd’hui que Jésus-Christ, en appelant l’homme à un degré supérieur de la voie chrétienne, l’appelle au sacrifice chrétien complet, non divisé, celui qui, n’acceptant pas cet appel, continuerait à regarder comme son unique idéal, comme son unique devoir, l’élévation seule de l’esprit, s’égarerait de plus en plus. Il n’y a de saint, de grand sur la terre, que ce qui se fait selon la volonté de Dieu.

 

Les frères présentent quelques questions sur l’Église, sur ses formes, et demandent enfin quels changements l’Œuvre de Dieu introduit dans l’Église.

 

L’Œuvre de Dieu ne change rien dans l’Église ; elle aide seulement à comprendre ses lois et la signification de ses formes, et à en profiter pour le but que Dieu a assigné à l’homme dans cette époque. En appelant l’homme à l’amour, au sacrifice complet, elle l’appelle à s’élever, par cette force chrétienne, à un degré supérieur de la voie chrétienne, à élever par là l’Église de Jésus-Christ. Serviteurs de l’Œuvre de Dieu, en transmettant au prochain cet appel de Jésus-Christ, respectons les formes qui ont été fidèlement conservées dans l’Église. Dans ces temps d’une indifférence presque générale, lorsque la voie chrétienne est si peu suivie, que le feu de Jésus-Christ brûle si peu et que, par conséquent, son Église existe si peu sur la terre, les formes de l’Église sont devenues pour l’homme un trésor encore plus précieux. Tout ce que l’Église nous présente, tout ce que nos yeux y voient, ce que nos oreilles y entendent, est saint ; chaque forme, même la moindre, chaque parole qui y est prononcée, a une grande signification. Ce n’est que parce que l’homme ne comprend pas l’essence céleste des formes, ne l’aime pas, ne l’accomplit pas, qu’elles sont si peu appréciées et éveillent de moins en moins l’homme, ce qui augmente ses difficultés et aggrave ses comptes devant Dieu.

Aujourd’hui l’homme est appelé à connaître plus profondément l’essence chrétienne et à l’accomplir dans sa vie ; autant qu’il répondra à cet appel suprême, il appréciera davantage les formes qui représentent cette essence ; avec les formes, il acceptera l’essence, il sentira et acceptera la puissance du Verbe de Dieu. Par l’accomplissement de l’essence et des formes, la loi de Jésus-Christ sera accomplie partout, dans l’intérieur et dans l’extérieur de l’homme, partout Notre Seigneur triomphera par l’homme.

 

 

 

 Notes recueillies dans : 

André TOWIANSKI, Pisma, t. I, 1882.

 

 

 

 

 

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